LES
ESPRITS DES FLEURS
(Alphonse
de Lamartine 1847)
VOYEZ-VOUS
de l'or de ces urnes
S'échapper ces esprits des
fleurs,
Tout trempés de parfums
nocturnes,
Tout vêtus de fraîches
couleurs?
Ce ne sont pas de vains
fantômes
Créés par un art décevant,
Pour donner un corps aux
arômes
Que
nos gazons livrent au vent.
Non chaque atome de matière
Par un esprit est habité ;
Tout sent, et la nature
entière
N'est
que douleur et volupté !
Chaque
rayon d'humide flamme
Qui
jaillit de vos yeux si doux;
Chaque
soupir qui de mon âme
S'élance, et palpite vers
vous;
Chaque
parole réprimée
Qui
meurt sur mes lèvres de feu,
N'osant
même à la fleur aimée
D'un
nom chéri livrer l'aveu ;
Ces songes que la nuit fait
naître
Comme pour nous venger du
jour,
Tout prend un corps, une
âme, un être,
Visibles, mais au seul
amour !
Cet ange flottant des
prairies,
Pâle et penché comme ses
lis,
une
de mes rêveries
Restée
aux fleurs que je cueillis.
Et
sur ses ailes renversées
Celui
qui jouit d'expirer,
Ce
n'est qu'une de mes pensées
Que
vos lèvres vont respirer.